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AMSTERDAM, 1716

Depuis ce matin je n'ai pas arrêté alors je viens me poser un peu ! Il fait chaud et lourd aujourd'hui, je suis assise dans la cour, devant ma  porte. J'aime ma maison de briques rouges, aux grandes fenêtres et aux hautes cheminées.  Je surveille mes petits-enfants qui jouent aux billes ou à la toupie sagement agenouillés devant moi. Heureusement que Tilda, au fond de la cour, m'aide aux taches ménagères, ça me permet de souffler un peu !  Le temps est orageux... le paysage est magnifique : imagine un ciel bleu intense, de gros nuages blancs et lumineux, qui planent immobiles.  Le soleil fait miroiter l'eau du canal tout proche. Tout est calme et paisible. Un moment d'éternité !
J'ai presque fini le tableau que je suis en train de peindre. Il m'a  donné plus de mal que les autres. C'est amusant cette obsession de peindre des bouquets de fleurs... C'est peut-être parce que j'ai toujours eu une aversion pour les bouquets de fleurs coupées... Aussi beaux soient ils, ils sont de si courte durée ! On a le triste spectacle de les voir jour après jour, s'étioler, flétrir, de faner... C'est assez déprimant somme toutes parce que cela nous renvoie d'une certaine manière à notre propre vieillesse et à notre fin.  Or, les fleurs que nous peignons seront toujours là dans des siècles, fraiches, intactes, lumineuses préservées pour les générations futures. Les années peuvent bien passer et emporter les artistes leurs œuvres restent et leurs pensées, leurs émotions sont ainsi conservées toutes fraiches. C'est fantastique ça ! C'est vrai pour la peinture, pour la musique aussi. J'ai beaucoup d'admiration pour Antonio Vivaldi.  J'ai eu le privilège de l'entendre lors d'un merveilleux concert qu'il avait donné à Amsterdam. Sa musique ressemble assez à ma peinture... pleine de vie, d'oiseaux qui chantent et d'insectes qui volent !
En peignant ces compositions florales j'ai pu faire ce qui est impossible dans la réalité : m'amuser à mélanger des fleurs qui ne poussent pas à la même saison , ni au même endroit. Facile avec un père botaniste toujours à l'affut des dernières découvertes en provenance de pays lointains ! Mais ce genre de bouquets est beaucoup plus que l'illustration scientifique qu'on peut trouver dans des ouvrages botaniques. Contrairement aux pays catholiques Espagne, Italie, nous refusons les sujets religieux dans nos peintures. Elles sont cependant truffées de symboles à forte connotation moralisatrice, plus ou moins à décoder. 
Par exemple, la libellule et le papillon ont un sens emblématique et représentent la lutte entre le bien et le mal. Le papillon est aussi le symbole de la résurrection. Un citron épluché en spirale peut représenter le temps qui passe... Le tournesol invite à se tourner vers Dieu, le raisin est un rappel du vin de l'eucharistie. La tulipe symbolise à la fois la fragilité, mais en raison de l’envol des cours elle peut également signifier la vanité du luxe,  La chute brutale de ses cours ne fait que conforter cette symbolique !